A quels enfants allons nous laisser le monde?
Le premier vrai livre qui m'a fait prendre conscience de l'ampleur de la manipulation dont nous sommes inconsciemment l'oeuvre est celui de Jean-Claude Michéa l'Enseignement de l'ignorance et ses conditions modernes, aux éditions Micro-Climats. L'auteur est agrégé de philosophie et il enseigne à Montpellier.
D'emblée le lien était tracé, je me suis apperçut que je ne maitrisait pas l'expression écrite utilisée dans ce livre, j'étais à l'époque en 2ème année d'université. Je suis à l'école depuis 20 ans, et ce n'est pas grace à elle que je sais lire. Le pire a été le livre de Pierre Legendre Sur la question dogmatique en Occident, je n'y comprenait rien. On pourrait penser qu'il y effectivement des niveaux de compréhension, et c'est vrai mais le livre de Michéa m'a bien fait comprendre que l'école ne servait pas à développer mes capacités intellectuelles...
"En 1983, le rectorat de Nice avait réalisé une enquête auprès de 12000 élèves de sixième. 22,48% ne savaient pas lire et 71,59% étaient incapables de comprendre un mot nouveau à partir de son contexte", depuis selon Liliane Lurçat, le problème a disparut, par la magie du silence des médias( j'y consacrerai un article plus tard) et de la propagande politique.
Il est à noter un "déclin de l'intelligence critique c'est à dire de cette aptitude fondamentale de l'homme de comprendre à la fois dasn quel monde il est amené à vivre de quelles conditions la révolte contre ce monde est une nécessité morale. Les capacités d'argumenter et la maitrise de ces exigences linguistiques sont l'objet de destrustion de toute "novlangue". ( VOir G.Orwell. 1984. Si vous ne l'avez pas lu, c'est le prochain à vous procurrer.)
"Le dispositif théorique de l'Economie politique repose sur l'idée qu'il suffirait, pour assurer la Paix, la Prospérité et le Bonheur,-trois rêves de l'humanité-d'abolir tout ce qui fait obstacle au jeu "naturel" du Marché."
"Ce n'est pas de la bienveillence du boucher ou de la boulangère que nous attendons notre dîner, mais bien du soin qu'ils apportent à leurs intérêts. Nous ne nous adressons pas à leur humanité, mais à leur égoïsme. " Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations. Adam Smith, Gallimard 1990 p.48-49. On peut voir l'intérêt égoïste, dans lequel l'Economie politique tend nécessairement à voir l'unique moteur rationnel des conduites humaines.
"Une société capitaliste conforme à son concept correspondrait philosophiquement au nouvel état de nature qui, selon Rousseau, est conclusion obligée d'une société d'inégalité totale.
« Sous la double invocation d’une « démocratisation de l ‘enseignement », (Ici un mensonge absolu : de 1989 à 1993, le pourcentage d’étudiants d’origine populaire à l’ENA, l’ENS et l’X, est passé de 15,4% pour 1966-1970 à 7% pour 1989-1993)
et de la « nécessaire adaptation au monde moderne ’ »(une demi-vérité)
ce qui se met en place est l’Ecole du Capitalisme total , c’est-à-dire l’une des bases de logistiques décisives à partir desquelles les plus grandes firmes transnationales pourront conduire avec toute l’efficacité voulue la guerre économique mondiale du XXIème siècle.
Les seigneurs de guerre des Royaumes combattants de l’économie mondiale avec toutes ses armées de légistes et de lettrés, sont en permanence contraints de se réunir afin de coordonner leurs stratégies. Une partie des rapports et comptes-rendus est encore accessible mais pas pour longtemps.
Après la révélation par certaines organisations non gouvernementales des transactions secrètes sur l’AMI, certains de seigneurs de guerre se sont d’ailleurs plaints de cette accessibilité et ont promis des mesures pour y faire face. On sait que dans le monde des médias, c’est précisément la fonction d’Alain Duhamel, qui est un des membres éminents du « Siècle », c’est-à-dire de « l’un des clubs français très fermés où se côtoient les élites du monde politique, de la finance, de l’industrie, des médias ’ »(Pierre Bitoun, Les cumulards, Stock 1998, pp.44 et 230.), de dissimuler au public l’existence de ce genre de documents puis, s’ils sont découverts, de mentir avec aplomb sur leur signification réelle.
Voir également le livre Tableau Noir, petit livre indispensable, par de Gérard de Selys et Nico Hirtt, EPO, Bruxelles, 1998, qui reproduit abondamment les textes que la Commission Européenne, l’OCDE ou l’European Round Table (l’un des lobbies communautaires les plus discrets et les plus efficaces et dont Edith Cresson est la passionaria infatigable) consacrent, depuis quelques années, à définir les « ajustements structurels » exigés par la réforme capitaliste de l’école.Comme ces rapports ne sont pas destinés à êtres lus par le peuple souverain, les auteurs s’y expriment avec un cynisme qui est tout à fait stupéfiant.
En septembre 1995, « cinq cents hommes politiques, leaders économiques et scientifiques de premiers plan » se réunirent à l’Hôtel Fairmont de San Francisco. L’assemblée commença par reconnaître comme une évidence qui ne peut être discutée- que « dans le siècle à venir, deux dixièmes de la population active suffiraient à maintenir l’activité de l’économie mondiale ».
Comment maintenir leurs gouvernabilité ?
La solution fut trouvée par Zbigniew Brzezinski (qui est l’ancien conseiller de Jimmy Carter et fondateur en 1973 de la Trilatérale) sous le nom de tittytainment : « un cocktail de divertissement abrutissant et d’alimentation suffisante permettant de maintenir la bonne humeur la population frustrée de la planète ».
Concernant les Guignols de l’info : on notera l’étonnante puissance de récupération du système : au XXIème siècle, le Guignol était l’une des quelques armes dont disposait encore le petit peuple pour brocarder ses maîtres. Il est devenu aujourd’hui l’artillerie lourde que l’élite emploie pour se moquer du peuple.
Ils devront conserver un secteur d’excellence, destiné à former, au plus au niveau, les différentes élites scientifiques, techniciennes et managériales qui seront de plus en plus nécessaires à mesure que la guerre économique deviendra de plus en plus dur et impitoyable.
Ces pôles d’excellence (qui sont à l’œuvre dans les réformes de l’enseignement supérieur) transmettront les savoirs nécessaires à l’esprit critique.
Et il y aura le reste, les plus nombreux, ceux qui sont destinés par le système à demeurer inemployés (ou à être employés de façon flexible et précaire, Mac Do…) C’est évidemment pour cette école du plus grand nombre que l’ignorance devra être enseigné de toutes les façons convenables.
Selon G.Debord, « presque tout le monde pensait avec un minimum de logique, à l’éclatante exception des crétins et des militants. En ce sens, on pourrait dire que la réforme scolaire idéale, du point de vue capitaliste, est donc celle qui réussirait le plus vite possible à transformer chaque lycéen en un crétin militant.
L’école deviendra une sorte de grand parc d’attractions scolaires, comme c’est déjà le cas aux Etats-Unis, où les enfants ne peuvent même pas lire les livres qui dénoncent les gens qui les manipulent. Et c’est bien en connaissance de causes que les réformes ont été introduites en France, comme le souligne L.Lurçat (Vers une école totalitaire).
Ce qui est inquiétant c’est l’originalité du capitalisme français qui a su exploiter les lieux communs idéologiques qui avaient, depuis Mai 68, envahit le marché. Comme l’écrit Alain Finkielkraut, « les tracts contestataires d’autrefois sont les directives gouvernementales d’aujourd’hui. Voilà trente ans, les comités d’actions lycéens proclamaient que les enseignants devaient éveiller la personnalité de chaque élève et lui apprendre à se former soi-même, désormais, ce sont les inspecteurs d’académies qui s’expriment en ces termes.
Il faut dire que pour imposer cette destruction américanisée de l’enseignement, les classes dominantes ont toujours pu compter, au sein même du corps enseignant, sur le soutien sans faille d’une organisation étrange –le SGEN-CFDT- dont J.C. Milner a pu dire qu’il était « cette rareté : un syndicat d ‘enseignants qui réclame systématiquement l’abaissement matériel et moral de tous les enseignants. ». Sans doute faut-il chercher dans les origines chrétiennes de la CFDT la clef d’un tel penchant pour le martyre et la crucifixion.
Un point de non-retour a été atteint, en 1990, avec la mise en place par Lionel Jospin, selon le modèle inventé par le capitaliste, des Instituts Universitaires de Formation des Maîtres. Comme l’écrit L.Lurçat, ces IUFM sont une « entreprise redoutablement efficace. Ils permettent de détruire la formation universitaire des futurs professeurs des différentes disciplines ». Ils sont aussi, cela va de soi, le quartier général de la police de pensée pédagogique et de ses tout puissants missi dominici. Dans un monde où le spectacle est l’autorité symbolique la plus haute, un enseignant ne peut espérer obtenir la bienveillance et l’attention des élèves-spectateurs que s’il accroît la part de théâtralité inhérente à l’acte d’enseigner, au risque de devenir lui-même purement spectaculaire.
On ne doit pas s’étonner si les lycéens descendent dans la rue, à intervalles réguliers, afin d’y faire entendre leur refus d’une telle école. De toute évidence, il ne s’agit pas uniquement là d’un nouveau rituel de passage, destiné à remplacer les processions et les monômes d’autrefois. Encore moins doit-on y voir un simple reflet des manipulations auxquelles se livrent inévitablement les fractions rivales de la Nomenklatura, même si cette dernière, à chaque fois, ne manque jamais de prélever, dans ces mouvements, une partie des « jeunes pousses » (selon l’expression de Lionel Jospin) nécessaire à sa reproduction.
Le tittytainment doit réactiver à chaque génération (chaque nouvelle mode musicale imposée par l’industrie culturelle, l’idée que les formes du futur ne dépendent pas du libre choix des peuples. Ainsi s’explique mieux la croisade inlassable du sautillant Jack Lang( ministre parfois officiel et toujours officieux du tittytainment) en faveur de la Love Parade et de toutes ces autres spatakiades technologiquement assistées.
Selon Max Planck : « le mensonge ne triomphe jamais entièrement par lui-même, mais ses adversaires finiront toujours par mourir. »
Nous sommes confrontés, quel que soit par ailleurs le destin de l’Ecole, à un problème que l’humanité avait eu, jusqu’ici, la chance de ne jamais rencontrer ( ou l’intelligence d’éviter). Ce problème historiquement imprévu, personne, à mon sens, ne l’a formulé avec autant de froide lucidité que Jaime Semprun dans l’Abîme se repeuple : « Quand le citoyen-écologiste prétend poser la question la plus dérangeante en demandant :Quel monde allons-nous laisser à nos enfants ?, il évite de poser cette autre question, réellement inquiétante : A quels enfants allons-nous laisser le monde ? » . Telle est bien désormais la surprenante question.
Si aucun gouvernement n’a encore pris, en France, la décision d’abolir les congés payés, ce n’est pas, comme on s’en doute, parce qu’un aucun ministère n’y a songé ou que la classe d’affaire y serait farouchement opposée.C’est évidemment, parce que, pour l’instant, aucun pouvoir ne peut se permettre de suggérer cette judicieuse abolition sans mettre aussitôt en danger les conditions politiques de la domination du Capital. On notera, en revanche, que pour ce qui est de la retraite et de la sécurité sociale, les choses semblent se présenter sous un jour déjà plus favorable.( Le livre a été édité en 1999, reste à voir le résultat aujourd’hui…)
Que dire à part que ce livre m’a littéralement foudroyé, une partie de moi est morte, celle de l’espoir que tout ne soit pas comme ce que je pressentais. C’était le début de la compréhension consciente d’une machine à broyer les esprits. On peut effectivement se dire que ce n’est pas la réalité, que c’est du délire et bien non, ce n’est que le premier maillon de l’immense filet qui m’emprisonne, qui nous emprisonne. La moindre des choses était de le montrer à mes co-détenus, j’espère que vous apprécierez…